Interview :
Un tour du monde sans avion avec Julia Jaquet

JULIA JAQUET

J’ai rencontré Julia en retraite Yoga & Ayurveda à Pralognan.
On a tout de suite sympathisé. C’est quelqu’un que j’admire beaucoup pour ces principes et son alignement fort à ses valeurs.
Elle est partie en tour du monde sans avion depuis le début de l’année. Elle a déjà traversé l’Atlantique en bateau pour se rendre d’abord jusqu’en Guadeloupe, Martinique puis les îles grenadines pour rejoindre ensuite l’Amérique du Sud. Elle est actuellement en Equateur et prévoit de descendre jusqu’à Ushuaïa. Son objectif est ensuite de traverser le Pacifique à la voile pour rejoindre l’Océanie. Rien que ça !
Dans cette interview elle nous explique tout sur sa démarche et comment elle s’y est prise.
Prenez en de la graine 🙂

L’aspect pratique :

Qu’est-ce qui a déclenché cette envie de partir faire le tour du monde sans avion ? (La genèse de ton voyage) 

Je travaillais depuis 5 ans pour une multinationale sur un poste de management et comme beaucoup je crois, j’ai perdu le sens de ce que je faisais au quotidien.

J’avais ce sentiment de vivre les jours / semaines en pilotage automatique, sans prendre de recul sur ma vie et ce qui me faisait vibrer.

J’avais pas mal de projets en tête mais l’habitude, la peur m’empêchaient de me lancer.

Le voyage est apparu comme l’opportunité de faire une pause, tout quitter et surtout me permettre de revivre la nouveauté tous les jours.

Le fait de ne pas prendre l’avion, c’est un choix qui me permet de vivre mes rêves sans renier mes convictions. Je crois qu en tant qu’occidentaux, nous portons une grande responsabilité des enjeux climatiques en cours et à venir. Chacun doit faire sa part et cesser d’attendre que le gouvernement, les entreprises ou son voisin face quelque chose. Limiter ses déplacements en avion (comme ne plus manger de viande), ce sont des moyens simples de se rapprocher de l objectif de 2 tonnes de CO2 par personne. Nous n’avons plus le luxe de sauter dans un easyJet pour un week-end à Barcelone. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a plein de chouettes alternatives 😁

JULIA JAQUET
CREW BATEAU JULIA

Combien de temps as-tu prévu de partir ?

J’avais prévu de partir 9 mois à la base, maintenant on est sur un an. Je ferai le point le soir du 31 décembre pour voir si j’ai l’envie et l’énergie de poursuivre sur la traversée du Pacifique jusqu’en Asie (6 mois à 1 an de plus)

Combien de temps as tu mis pour te préparer à ce voyage ?

Le projet a cheminé durant deux ans dans ma tête et ensuite la gestion des aspects techniques s’est faite en 9 mois. (Quitter mon job, louer ma maison, gérer l’admin…)

Comment finances-tu ce voyage ? Est ce que tu t’es fixé un budget ?

Ma maison est en location, cela me finance la moitié du mois, l’autre partie grâce à mes économies. Je dépense entre 700e et 1000e en fonction des pays et du confort que je choisis ou dont j’ai besoin.

Comment se passe le bateau stop ? Quels sont les bateaux que tu peux prendre ? Est ce difficile de trouver des places dans ces bateaux ? Des tips ou des applications à recommander pour ceux qui souhaiteraient faire du bateau stop? Quels sont les risques les plus importants ?

J’ai rencontré mes 2 premiers capitaines (co-propriétaires d’un voilier) sur la bourse aux équipiers et ma deuxième capitaine sur un ponton au Cap Vert. Je cible des particuliers qui ont besoin d’aide à bord pour naviguer ou veulent seulement partager une aventure (Le cas de mon premier bateau).

Il y a beaucoup de personnes et un peu moins de places mais cela dépend aussi de la saison et de l’endroit, tout est possible. J’ai eu beaucoup de chance car j’ai réalisé ma première traversée sans expérience, cela laisse en théorie moins de chance, mais j’étais très flexible sur les conditions et dates de départ et super motivée. (J’ai fait 10 heures de train pour les rencontrer une après-midi)

Je recommande d’embarquer avec plus d’expérience que moi à la fois pour soi et comprendre ce que cela implique, mais également pour le capitaine et se donner toutes les chances de trouver un bateau.

Il y a de nombreuses pages FB destinées à la recherches d’équipiers et d’embarquements (bourse aux équipiers et crew finder sont les plus connus), mais le porte à porte sur les pontons marche bien aussi et permet de se constituer un petit réseau de marins.

Être flexible également sur la date de départ et la destination, toutes les routes mènent à Rome 😄

La mer est un environnement qui peut être dangereux et malheureusement il existe des capitaines mal intentionnés. Ces derniers profitent du manque d’expérience de leur équipage pour mettre une pression financière où sexuelle sur ce dernier, le plus souvent des femmes. N’embarquez jamais seule avec un homme, demandez des références des précédents membres d’équipages, renseignez-vous sur la personne et les équipements du bateau (par exemple, il y a t-il un téléphone satellite à bord pour contacter ma famille ?). Rencontrez la personne sur terre et écoutez votre instinct. En cas de doute il n’y a pas de doute et l’aventure ne vaut pas de se mettre en danger.

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Où dors-tu généralement ? Quand tu n’es pas sur un bateau ? Et sur les bateaux, as tu un espace pour toi ?

Les 6 premiers mois j’ai vécu dans les deux bateaux qui étaient une sorte de collocation flottante. J’ai eu la chance dans les deux cas d’avoir ma cabine !

Depuis que je suis en Amérique Latine, j’ai majoritairement été hébergée via des rencontres, couchsurfing, chez une amie et je dors dans ma tente dans les endroits plus sauvages.

Comment te nourris-tu surplace ?

J’ai pu partager pas mal de repas avec des familles qui m’ont invitée et quand je ne peux pas cuisiner je mange sur les marchés. C’est le meilleur endroit pour cerner l’atmosphère de la ville. Dès que je peux, je cuisine pour garder une alimentation végétale équilibrée

Organises-tu tous tes déplacements à l’avance ou tu fais au feeling ?

Je fais au feeling, bien souvent je ne sais pas où je serai dans deux ou trois jours mais c’est aussi tout l’intérêt. Je reste ouverte aux opportunités et aux rencontres.

As tu rencontré beaucoup de monde sur ton chemin ? De belles rencontres ? De moins belles rencontres ?

Énormément, pour quelques heures ou quelques semaines, j’ai rencontré des âmes exceptionnelles, qui m’ont aidé, appris… Difficile à l’écrit de les citer tous.
Martin et Sylvain avec qui j’ai navigué sur le premier bateau. Noémie qui m’a ouvert les portes de son voilier également. Michel un navigateur solitaire de 70 ans qui est devenu notre papa de substitution durant quelques mois (nos bateaux se sont suivis du Portugal à la Guadeloupe). Et très récemment Roberto, un Equatorien que j ai rencontré durant une rando, il m’a invité chez lui la semaine suivante, m à fait faire le tour de sa ville, invité à diner avec sa famille. C’était génial.

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Quels sont les contretemps les plus importants que tu aies vécu durant ce voyage ?

J’ai passé 1 mois et demi en Guadeloupe et Martinique le temps de trouver le bateau suivant, alors que je pensais rester 2 semaines. C’était une expérience intéressante à vivre car cela sonne comme un rêve mais j’étais tellement absorbée par la prochaine étape que je stressais et je n’arrivais pas à en profiter. Pas toujours évident le temps long et l’acceptation de l’incertitude.
Heureusement, j’ai pu compter sur mes capitaines qui m’ont laissé la cabine dans le voilier le temps que mes plans s’affinent. Ils ont été super.

Concernant les moins belles rencontres il y en a eu mais je les évite souvent car je ne m’impose rien. Je ne parle pas où je ne passe pas de temps avec une personne qui ne m’inspire pas confiance même à priori et je reste très prudente en ville.

L’aspect personnel :

Tu es partie solo, as tu eu de l’appréhension avant de partir ? Lors du voyage ? Comment arrives-tu a gérer cela ?

Pas vraiment, je crois que j’avais tellement à gérer sur la partie pratique que je n’ai pas eu le temps de me projeter. De manière générale, je suis introvertie et solitaire, je n’avais déjà aucun souci en France à me faire un bivouac ou un resto solo et j’avais déjà voyagé seule.

Lors du voyage la solitude apporte une vraie liberté, tu es maître de tes journées en revanche tu n’as personne sur qui te reposer pour l’organisation ou te sentir en sécurité et c’est parfois fatiguant.

Il y a évidemment des jours plus durs que d’autres où la famille et les amis manquent. Je suis longtemps restée dans une forme de silence par rapport à cela mais depuis quelques semaines je m’écoute plus. On se téléphone et je prends du recul. À tout moment je peux rentrer si la balance plaisir / contraintes ne me convient plus.

Qu’est-ce que ce voyage t’apportes sur le plan personnel ? Te sens-tu changer personnellement, émotionnellement, physiquement ?

Je pense que j’en prendrai plus conscience à mon retour de voyage. J ai parfois du mal à réaliser ce qu’il se passe. Mais déjà, le fait d’avoir fait du vide, m’a libéré pour plein d’autres projets que je n’osais pas réaliser. Je me sens capable à mon retour de monter ma boîte. Je n’avais jamais osé passer le pas.

J’étais déjà indépendante mais je suis encore plus convaincue que l’on construit notre bonheur de manière individuelle, il ne faut pas compter sur sa famille / son ou sa partenaire / ses amis pour nous faire aller bien, c’est une démarche personnelle.

Je prends énormément de recul aussi si les choses pour lesquelles je ne peux rien faire. La météo, des retards de transport, un aléa… J’ai tendance à me dire qu il y aura toujours des solutions.

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J’imagine que la traversée de l’Atlantique en bateau n’est pas de tout repos. Comment l’as tu vécue ?

C’était intense ! Le plus dur finalement n’a pas été la traversée en tant que telle mais le fait de longer les côtes jusqu’au Cap Vert depuis la Bretagne. Le temps était froid en janvier et l’allure (position du bateau en fonction du vent), inconfortable. Pas évident aussi de se faire au rythme des nuits de sommeil agité et entrecoupé par les quarts de surveillance mais j’ai pu compter sur des co équipiers géniaux.

As-tu des anecdotes (drôles ou moins drôles) de voyages à nous raconter ?

En débarquant sur une petite île du Venezuela, nous avons sympathisé avec le chef du port qui nous a invité à un dîner. En conversant, je me suis rendue compte que les gens autour de moi était jurés Vénézuela « The voice », héritiers d’une multinationale, nièce du premier ministre, propriétaire d’un palace à Caracas, propriétaire d’une chaine de télévision… Je me suis demandée ce que je faisais là 🤣

Sinon, le 10 janvier après 12 heures en mer en Bretagne, nous nous sommes retrouvés dans une tempête qui a duré près de 30 heures. Je n’avais jamais navigué et je me suis retrouvée au milieu de vagues de 6 mètres, dans un vacarme épouvantable, au bout de quelques heures, tout était trempé, nous pouvions à peine manger entre les mouvements du voilier et le froid. J’ai vécu les 2 nuits les plus longues de ma vie mais avec le recul, c est désormais un souvenir unique.

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La suite du voyage :

Tu as déjà traversé l’océan atlantique pour te rendre en Amérique du sud, tu es actuellement en Equateur. Quelles sont tes prochaines destinations ?

Je vais descendre jusqu’à Ushuaia pour y passer Noël en passant par le Pérou et la Bolivie. Et en Janvier j’aviserai, si j’ai encore les ressources mentales, je tenterai de traverser le pacifique à la voile ⛵️